25

 

 

Tout avait changé, et pourtant tout était comme avant. La maison dans Mulberry, le Blue Flame dans Kenmare Street, Salvatore’s Diner à l’angle d’Elizabeth et Hester. Tous ces endroits m’étaient familiers, mais l’atmosphère était différente, l’avais pris autant d’années que la ville, mais la ville avait perdu son âme.

Nous étions en octobre 1996. J’avais quitté cet endroit en novembre 1982, avec une femme et deux bébés, presque quatorze ans plus tôt ; quitté cet endroit pour une ville nommée Los Angeles, croyant que ce que j’avais trouvé ici, à New York, m’appartiendrait toujours.

J’avais pris mes désirs pour la réalité.

Les gens que je connaissais ici étaient eux aussi partis. Angelo Cova, Giovanni, le fils de Don Alessandro, Matteo Rossi et Michael Luciano. Carlo Gambino était parti, de même que Frank Tieri et Anthony Corallo. Thomas DiBella, le chef de la famille Colombo, avait été déposé par Carminé Persico, et Caesar Bonaventre, le jeune chef de la famille Bonanno, avait été remplacé par Philip Rastelli après que celui-ci avait été libéré de prison. Stefano Cagnotto était mort, bien entendu, puisque c’était moi qui l’avais tué.

Dix Cents était là pour m’accueillir à la gare, et je l’ai présenté à Victor comme l’oncle Sammy. Dix Cents a fait un grand sourire, il m’a étreint et embrassé sur les deux joues, puis il a fait de même avec Victor. Il avait apporté un ours en peluche, et quand il a vu la taille de Victor et s’est aperçu qu’il n’était plus un enfant, il s’est moqué de sa bévue. Nous avons tous ri et, pendant un moment, j’ai cru que tout se passerait bien.

La maison de Mulberry Street était toujours là, et Dix Cents nous a conduits jusqu’à Don Calligaris. Pendant que sa gouvernante donnait à manger à Victor dans la cuisine, Don Calligaris m’a pris à part et s’est assis avec moi près de la fenêtre du salon.

« Nous sommes désormais vieux, a-t-il dit d’une voix lasse et désabusée. Je suis revenu en Amérique. Je ne peux pas mourir éloigné de ma famille. Et cette histoire... ce qui est arrivé à Angelina et Lucia...

— Ces choses appartiennent au passé », l’ai-je coupé, simplement parce qu’il m’était insupportable d’en parler.

Malgré les années qui s’étaient écoulées, leur mort flottait toujours au-dessus de moi comme une ombre noire.

« C’est le passé, oui, Ernesto, mais durant toutes ces années où tu as été éloigné, j’ai porté le poids de la culpabilité à cause de cette nuit-là. Jusqu’à ce jour, nous n’avons entendu que des rumeurs sur ce qui s’est passé. Il est clair que la personne qui a tué ta femme et ta fille cherchait à me tuer moi. Certains hommes ont perdu la vie en tentant de découvrir la vérité, et nous continuons de la chercher. C’était il y a plus de cinq ans, mais les gens comme nous n’oublient jamais les injustices dont ils sont victimes. Maintenant que tu es de retour, nous pouvons travailler sur cette affaire ensemble, nous trouverons qui était derrière et nous nous vengerons.

— Je suis un vieil homme, je suis venu pour que mon fils voie l’Amérique, ai-je répondu. Je vais lui faire visiter le pays, lui montrer certaines des choses que j’ai vues, et après, plus que probablement, je rentrerai à Cuba pour y mourir. »

Don Calligaris s’est esclaffé. Il a semblé un moment à bout de souffle et a pris quelques secondes pour s’éclaircir la voix. Les lignes et les rides de son visage disaient tout ce qu’il y avait à dire. Il était plus vieux que moi de quelques années, et alors qu’un homme ordinaire aurait pris sa retraite – déménagé en Floride et passé son temps à pêcher et à se promener et à s’occuper de ses petits-enfants quand ils lui rendraient visite en été –, Fabio Calligaris s’accrochait tenacement à sa vie. Le territoire était tout ce qu’il avait, et l’abandonner aurait été pour lui la fin de tout. C’était un homme coriace, il l’avait toujours été, et il aurait préféré mourir ici dans Mulberry Street plutôt que voir l’oeuvre de sa vie passer aux mains de quelqu’un de plus jeune.

« Ne parlons pas de mourir, a-t-il dit calmement, et il a souri. Ne parlons pas de mourir, et ne parlons pas d’abandonner. Ces sujets de conversation sont pour les faibles et les lâches. Nous sommes peut-être vieux, mais nous pouvons toujours avoir ce que nous voulons pendant les années qui nous restent. Tu as un fils, et il aura besoin de son père auprès de lui jusqu’à ce qu’il soit lui-même un homme. Il a perdu sa mère et sa soeur, et te perdre le briserait avant qu’il ait eu une chance de s’en sortir.

— Je resterai quelques années, ai-je dit. Ça va de soi. Mais avec mon fils à mes côtés, il est impossible que je reprenne cette vie.

Don Calligaris s’est calé profondément sur sa chaise. Il m’a regardé droit dans les yeux, et même s’il y avait de la chaleur et de l’amitié dans son regard, j’y ai aussi décelé la détermination froide qui faisait sa réputation.

« Cette vie... cette chose qui nous appartient, cette Cosa nostra, nous ne pouvons pas la laisser derrière nous, Ernesto. Tu fais des choix, tu laisses une trace, et cette trace sera toujours ta signature. Tu as vécu la vie que tu as choisi de vivre, et même si un homme a toujours des regrets, il faut qu’il soit un imbécile pour croire qu’il peut défaire ce qu’il est, ce qu’il est devenu à cause de ses actes. Je regarde la télé maintenant, je vois des films sur les gens comme nous, a-t-il ajouté en riant. On nous décrit comme une bande de petits truands, des voyous en costume de soie qui tuent pour le plaisir. On nous voit comme des hommes sans foi ni loi, sans coeur, mais rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité. La plupart du temps, nous avons tué parce que c’était une question de vie ou de mort.

C’était soit eux soit nous. Et puis il y a la question de l’honneur et du pacte. Les hommes font des promesses sur la vie de leur famille, puis ils trahissent non seulement leurs proches, mais aussi eux-mêmes. Tels sont les hommes qui meurent, et ils ne méritent rien de mieux. »

J’écoutais Don Calligaris, et je savais au fond de mon coeur qu’il disait vrai. Alors même que j’avais vu mon fils s’éloigner petit à petit de moi et envisagé la possibilité de revenir en Amérique, je savais que mon retour ne serait pas seulement motivé par ses désirs. Mes choix avaient impliqué la vie et la mort de tant de personnes au fil des années. Je savais que si je retournais à New York, si je renouais les vieilles amitiés et relations, je devrais revêtir une fois de plus mes vieux habits. J’étais devenu ce que j’étais à cause de mes actes, et ces actes ne pouvaient être effacés. J’étais, et serais peut-être toujours, un membre de cette grande famille. Le fait que j’avais un fils n’y changeait rien.

Je me disais alors que les atermoiements que j’avais eus quant à mon retour ne venaient pas de ma crainte de ce que Victor risquait de découvrir, de ce qu’il verrait et entendrait, mais de ma propre réticence à retrouver ma position dans le grand ordre de l’univers. J’avais une place, que j’avais laissée vacante en partant. Personne n’était venu pour me remplacer et assumer mes responsabilités, et personne ne le ferait jamais. Personne sauf moi. Et maintenant j’étais là, assis près de la fenêtre dans la maison de Mulberry Street ; mon fils dans la cuisine ; Dix Cents dans la pièce du fond en train de regarder un match de baseball à la télé ; Don Fabio Calligaris, vieux, les cheveux blancs, ridé, face à moi sur sa chaise, et je m’apercevais que les choses que j’avais laissées derrière moi m’avaient attendu avec la patience de Job. Mes habits avaient été taillés sur mesure. Je les avais usés. J’avais cru pouvoir les ôter et les remiser à jamais au fond de quelque tiroir. Mais c’était faux. Ils étaient les seuls habits qui m’allaient vraiment.

« Donc, tu vois, a repris Don Calligaris, nous sommes ce que nous sommes, qu’importe ce que le monde et tous ses causeurs disent de nous. Les choses que nous avons faites font autant partie de nous que nos empreintes digitales, elles ne peuvent pas être échangées contre autre chose. Je te connais bien, Ernesto... » Il a souri, s’est penché en avant et m’a pris la main. J’ai posé les yeux sur sa peau couverte de taches brunes et ai remarqué que sa main et la mienne étaient presque identiques. « Je te connais assez bien pour savoir que tu ne serais pas heureux en allant t’enterrer dans un trou à Cuba et mourir comme un homme de rien. Tu es ici. Tu es revenu chez toi. La maison où tu as vécu avec Dix Cents est toujours là. Les chambres ne sont plus les mêmes... » Il s’est esclaffé. « Au moins, nous avons pris la peine de repeindre les murs ! Mais ces chambres sont là pour toi et ton fils, et pendant qu’il ira à l’école, pendant qu’il apprendra à être un bon citoyen américain, tu pourras être ici auprès de moi et m’aider à remettre de l’ordre dans le bordel que ces gamins ont mis dans notre ville. Les familles étaient ici. Elles se font peut-être plus discrètes maintenant, elles ont peut-être moins d’influence qu’il y a trente ans, mais elles sont toujours bel et bien vivantes. L’Amérique était notre pays, et elle le restera jusqu’à mon dernier souffle si je peux y faire quoi que ce soit. »

Il a serré ma main plus fort. Il me demandait de rester, de reprendre ma place dans la famille. Je retrouverais une vie que je croyais avoir laissée derrière moi. Cette fois, j’avais un fils de 14 ans, et il ne devrait en aucun cas apprendre ce que j’avais fait – ni ce que je risquais de faire. C’était ça, plus que tout, le grand défi. Quelles autres options s’offraient à moi ? Visiter New York et l’Amérique pendant quelques semaines, puis rentrer à Cuba avec un fils qui serait peut-être malheureux et regretterait le vaste monde fabuleux qu’il aurait aperçu, puis attendre de mourir ?

J’ai baissé les yeux vers le sol. Fermé les yeux.

Je me disais que j’avais déjà pris ma décision le soir où je m’étais assis au bord du lit de Victor et lui avais annoncé que nous rentrerions.

« Oui », ai-je prononcé d’une voix à peine audible. J’ai relevé les yeux et me suis éclairci la voix. « Oui, Don Calligaris. Je vais rester. C’est ici chez moi, et je suis revenu. »

Don Calligaris a applaudi.

« Ha ! » s’est-il exclamé avec un large sourire. Il s’est levé. Moi aussi. Il a placé ses mains sur mes épaules, m’a attiré à lui et étreint. « Mon frère. Ernesto Perez, mon cinglé de frère cubain... Bienvenue à la maison ! »

Ça a commencé par de petites choses ; comme toujours.

Nous avons pris des dispositions pour dissocier ma vie avec Victor de ma vie avec Dix Cents et Don Calligaris. Nous l’avons inscrit dans une bonne école, une école catholique qui avait des liens avec la famille. De l’argent a changé de main et Victor n’a eu besoin de fournir ni pièce d’identité ni numéro de Sécurité sociale. Il arrivait à l’heure, travaillait dur, laissait entrevoir des études très prometteuses, et il semblait heureux. Après l’école, il rentrait à la maison située dans Baxter, à environ un demi-pâté de maisons de Mulberry, et il regardait la télé et s’occupait à sa guise quand je n’étais pas là. Dix Cents y habitait aussi, et j’employais une femme tout comme j’avais employé Claudia Vivo à La Havane. Son nom était Rosa Martinelli, c’était une veuve italienne d’une cinquantaine d’années, mère de deux adolescents avec qui Victor s’est lié d’amitié, de bons garçons, honnêtes et studieux, et il restait souvent chez eux ou les accompagnait au cinéma. Je ne m’en faisais pas pour Victor, il était en bonne compagnie, ce dont j’étais heureux.

Ça a donc commencé par de petites choses.

« Va voir Bracco, disait Don Calligaris. Dis-lui qu’il nous faut l’argent des paris pour ce soir. Dis-lui que c’est la troisième semaine d’affilée qu’il est en retard et que nous ne tolérerons plus ça. »

Et Dix Cents et moi allions voir Bracco, tous les deux – de vieux quinquagénaires –, et nous fichions la trouille aux gens du quartier et leur rappelions qui nous étions.

» C’est vous, qu’ils disaient. C’est vous qui avez descendu Jimmy Hoffa. »

Je souriais sans rien répondre, et ils lisaient ce qu’ils voulaient sur mon visage.

Parfois, nous nous retrouvions chez Salvatore pour parler affaires et, durant ces moments, j’aurais pu avoir vingt ans de moins, lorsque je sentais l’impatience monter en moi à l’idée que deux heures plus tard je serais dehors, dans la rue, et que j’irais voir Angelina Maria Tiacoli.

« Encore vous ?

— Oui.

— Vous n’allez pas abandonner, hein ? Comment était le concert ?

— Je n’y suis pas allé.

— Vous voulez que je vous rembourse les billets, c’est ça.

— Non, je ne veux pas que vous me remboursiez les billets.

— Alors, qu’est-ce que vous voulez exactement.

— Je veux vous emmener dans un endroit agréable, peut-être au cinéma... »

Et alors, le souvenir se dissipait, je regardais en direction de la rue et m’apercevais que, même si le passé m’avait attendu ici, je ne pourrais plus jamais le retrouver.

Puis les petites choses sont devenues des choses plus conséquentes.

« Ce Bracco, il a un fils nommé Giacomo ou je ne sais quoi. Il passe son temps à l’ouvrir et à se vanter de faire ceci ou cela pour la famille. Va avec Dix Cents, trouve-le, brise-lui les doigts ou ce que tu veux, et dis-lui qu’il ferait mieux de la boucler ou la prochaine fois tu lui fais un trou dans le crâne. »

Alors, Dix Cents et moi nous rendions dans quelque entrepôt délabré de l’extrémité sud de Bowery, et je maintenais Giacomo sur une chaise pendant que Dix Cents lui cassait trois ou quatre doigts de la main droite avec une clé anglaise. On lui fourrait un chiffon plein d’huile dans la bouche pour le faire taire, et vous pouviez être sûr que, à partir de là, il la fermait et qu’on n’entendait plus parler de lui.

Je n’ai tué personne jusqu’à l’hiver 1998. C’était quelques semaines avant Noël, et la neige était épaisse et lourde sur les trottoirs. Je me rappelle que j’étais affreusement sensible au froid alors qu’il ne m’avait jamais dérangé auparavant et j’ai alors songé que j’aurais peut-être été mieux à me prélasser sur une chaise longue au bord d’une piscine dans une maison de retraite de Tampa Bay. Cette idée m’a fait sourire tandis que je quittais la maison de Baxter Street, longeais un demi-pâté de maisons et grimpais dans la voiture où m’attendait Dix Cents.

« Tu parles d’un sacré bordel, qu’il a dit, et il a frappé ses mains gantées l’une contre l’autre et exhalé une vapeur blanche en direction du pare-brise. Tu es prêt ?

— Comme jamais », ai-je répondu malgré la sensation que mes tripes se nouaient.

C’était le soir, un peu après 21 heures. Victor dormait chez Mme Martinelli, croyant peut-être que son vieux père était déjà au lit avec une tasse de chocolat. Mais non... j’étais là, dans une voiture à l’angle de Canal Street avec son oncle Sammy, et moi et l’oncle Sammy allions traverser le Lower East Side et buter un connard nommé Benny Wheland. Benny était un petit usurier de seconde zone, un de ces crétins qui font payer vingt-cinq cents par semaine pour chaque dollar emprunté. Vous lui empruntiez mille billets et, trois semaines plus tard, il vous en réclamait mille sept cent cinquante en s’attendant à vous voir tout poli et reconnaissant quand vous le remboursiez. Il n’avait pas vraiment de gros bras avec lui, juste deux cogneurs d’Irlandais qui combattaient dans les salles autour de Water Street et Vladek Park. C’étaient des brutes épaisses, rien de plus, mais ils étaient assez costauds pour intimider le genre de personnes à qui Benny Wheland prêtait du fric. Le problème avec Benny – aussi adorable fût-il –, c’était qu’il avait une sacrée grande gueule et, que quand il l’ouvrait, plus moyen de l’arrêter. Il avait conclu un marché avec un organisateur de combats nommé Mordi Metz, un homme d’affaires juif résolument malhonnête, aussi connu sous le nom de Momo. Momo gérait les questions financières liées à tous les combats du Lower East Side. Il avait une solide relation de travail avec les nôtres, et quand il avait besoin d’un coup de main pour récupérer ses sous, nous étions toujours ravis de lui rendre service. Nous prélevions 10 %, tendions le reste de l’argent à Momo, et tout le monde était content. Benny Wheland devait du fric à Momo, dans les trente mille dollars, et Momo avait rappelé aux Lucchese qu’ils avaient une dette envers lui. Ces derniers avaient refilé le boulot à Don Calligaris, qui nous l’avait refilé à son tour.

« Une affaire toute simple, qu’il m’a dit. Il aura l’argent, aucun doute là-dessus, et le marché, c’est qu’on garde tout sauf un dollar symbolique qu’on donnera à Momo.

— Un dollar ? ai-je demandé. Pourquoi on lui donne un dollar ?

— C’est la tradition, a répondu Don Calligaris avec un sourire. Un truc juif. Il leur faut leur kilo de viande fraîche. »

Puis il a éclaté de rire, écarté ma question d’un geste de la main et est revenu à l’affaire en cours.

« C’est bon pour nous de garder Momo dans notre poche, a-t-il repris. Ce Wheland, c’est un empêcheur de tourner en rond, et il est à peu près aussi insignifiant qu’une merde de chien sur le trottoir. Ça ne nous coûte rien de le descendre, et c’est ce que Momo veut. En plus, on sait que Benny Wheland a eu tendance à l’ouvrir un peu trop souvent, et les choses seraient beaucoup plus tranquilles si on ne l’avait pas dans les pattes. »

Je suis resté quelques instants silencieux.

« Bon sang, Ernesto, si j’avais quelqu’un d’autre à envoyer, quelqu’un de confiance, je le ferais. Tu le sais. Ça n’a peut-être pas l’air d’être la fin du monde, trente mille billets dus à un juif qui dirige le circuit des combats, mais je reçois mes ordres, et un ordre, c’est un ordre comme tu le sais bien. Alors, tu vas le faire ou est-ce qu’il faut que je fasse appel à un ado frimeur et boutonneux qui va tout faire foirer ?

— Bien sûr que je vais y aller », ai-je répondu en souriant.

Je n’aurais pas remis en cause la requête de Don Calligaris. Il n’était pas dans ma nature de m’élever contre lui. Il était dans le pétrin. Il avait besoin de quelqu’un pour faire le boulot. J’ai accepté de m’en charger.

Aussi nous trouvions-nous dans cette voiture tandis que la neige de New York s’abattait sur nous, Dix Cents et moi, emmitouflés dans nos pardessus et nos gants, et quand il a démarré, je l’ai regardé et me suis aperçu qu’il ferait ces choses jusqu’à sa mort. Dix Cents était un soldat, pas un penseur. C’était un homme intelligent, aucun doute là-dessus, mais il avait accepté le fait qu’il n’était pas un meneur. Il était de ceux qui faisaient les rois, mais pas un roi lui-même, alors que moi, j’avais toujours tout remis en question. Je ne voulais pas être roi, je ne voulais pas être assis sur mon trône et ordonner la mort d’autres hommes, mais à ce stade de ma vie, je ne voulais pas non plus être un émissaire. Ce que je voulais, je n’en savais rien, mais j’avais accepté une mission et, une fois que je l’avais acceptée, il n’y avait pas de retour en arrière possible. Ce refus de trahir ma parole avait peut-être été la seule chose qui m’avait maintenu en vie aussi longtemps.

Nous avons roulé vers le sud en direction de Chinatown, puis nous nous sommes enfoncés dans le Lower East Side au niveau de Broadway. On nous avait donné l’adresse de Benny Wheland, et nous savions qu’il vivait seul. Apparemment, Benny n’avait jamais suffisamment fait confiance à une femme pour l’épouser, et le fric qu’il avait, il le gardait sous le plancher.

« Tu vas le faire ? m’a demandé Dix Cents en garant la voiture dans la rue. Je peux m’en charger si tu veux pas le faire, tu sais ? Tu as un gosse et tout, et je sais que ça doit changer ta façon de voir les choses. Moi, ça me pose pas de problème si t’as pas envie de buter ce type. »

J’ai haussé les épaules.

« On prendra les choses comme elles viendront, ai-je répondu. Allons parler à Benny et voir ce qu’il a à dire pour sa défense, hein ? »

Dix Cents a acquiescé et ouvert la portière. Une rafale glaciale de vent et de neige nous a accueillis, et Dix Cents a lâché un juron. Il est sorti et a claqué la portière.

Je suis descendu de l’autre côté de la voiture et l’ai contournée pour le rejoindre. Nous avons scruté la rue à droite et à gauche. Les gens intelligents étaient chez eux, bien au chaud sous des couvertures à regarder la télé. Nous seuls – deux vieux bonshommes affublés de pardessus et d’écharpes – étions assez idiots pour être dehors par une telle nuit.

Benny a ouvert la porte, mais elle était bloquée par deux chaînes de sécurité. Il nous a inspectés à travers l’entrebâillement de dix centimètres, grimaçant dans le vent froid qui se faufilait à l’intérieur histoire de l’emmerder.

« Benny, a commencé Dix Cents. Comment va ? Tu vas ouvrir cette putain de porte ou tu vas nous laisser nous geler les couilles dehors comme deux abrutis ? »

Benny a hésité une seconde. Ça me sidérait, ça n’avait jamais cessé de me sidérer, que, en de telles situations, ces gens ne devinaient pas ce qui allait arriver. Ou peut-être qu’ils le devinaient et que, conscients que c’était inévitable, ils s’en remettaient au destin. Peut-être qu’ils survivraient. Peut-être qu’ils croyaient que Dieu serait de leur côté et les tirerait de là. Mais je savais pertinemment que Dieu était le pire lâcheur qui ait jamais existé.

« Vous voulez quoi ? a grogné Benny à travers l’interstice de plus en plus étroit qui séparait la porte de son montant.

— Ah, allez, nom de Dieu, Benny. Faut qu’on cause argent avec toi. On a un moyen de régler cette histoire avec Momo et ça prendra pas plus de deux minutes, et après on se tire. »

Je ne sais pas ce qu’a alors pensé Benny Wheland, mais son expression a changé. Peut-être qu’il croyait que ni Momo ni aucune de ses relations n’auraient envoyé deux hommes pour lui régler son compte. Peut-être qu’il croyait que s’il devait se faire descendre, alors ce serait par des petits branleurs qui entreraient de force et lui tireraient une balle en pleine tronche.

Il a hésité un peu plus longtemps, puis il a claqué la porte. J’ai entendu qu’il détachait les chaînes, toutes les deux, et la porte s’est ouverte en grand. Dix Cents et moi sommes entrés chez Benny Wheland avec gratitude et un 9 mm.

Ils se sont mis à palabrer, principalement Benny, un peu Dix Cents, et quand j’en ai eu ma claque de les écouter, j’ai abattu Wheland d’une balle en pleine face.

Dix Cents a eu l’air totalement ahuri.

« Putain, Ernesto... qu’est-ce que tu fous ?

— Comment ça, qu’est-ce que je fous ?

— Merde, mon vieux, tu aurais pu me prévenir que tu allais faire ça.

— Comment ça, j’aurais pu te prévenir ? Pourquoi on est venus ici ? Pour boire le thé et discuter avec ce connard ? »

Il a secoué la tête, levé la main droite et s’est massé l’oreille.

« Non, c’est pas ce que je veux dire. Mais tu aurais pu me dire que tu allais le descendre. J’aurais pu me boucher les oreilles. Bon Dieu, je crois que je vais être sourd pendant une semaine. »

J’ai souri et Dix Cents a éclaté de rire.

« Tu en avais assez d’écouter ses conneries, non ?

— Ce type, c’était une putain de radio à lui tout seul, a répondu Dix Cents en secouant la tête. Maintenant, trouvons le fric, d’accord ? »

Nous avons fouillé chaque pièce de la maison. Nous avons soulevé le plancher, éventré les dossiers des fauteuils et du canapé. Nous trouvions des emballages de nourriture et de la vaisselle sale presque partout où nous cherchions. Nous avons même trouvé dans le four des vestiges de nourriture calcinée qui étaient restés là simplement parce que Benny n’avait pas pris la peine de nettoyer derrière lui. Ce type avait vécu comme un animal. Cela dit, hormis son hygiène personnelle et ses talents ménagers, nous avons récupéré près de cent dix mille dollars, principalement en billets de cinquante et de cent. C’était une bonne prise, meilleure que ce à quoi s’attendait Don Calligaris, et en signe de bonne foi, il a envoyé un dollar à Momo, plus trente mille billets dans une enveloppe matelassée.

« Ça a été facile ? m’a-t-il demandé quand nous avons regagné Mulberry Street.

— Un jeu d’enfant, ai-je répondu.

— Bon travail, Ernesto. Ça fait du bien de reprendre du service, hein ? »

J’ai souri. Comme je ne savais pas quoi dire, je me suis tu. J’avais fait ce qu’il fallait, ce qu’on m’avait demandé et, lorsque je me suis trouvé dans ma chambre, une tasse de café dans une main, une cigarette dans l’autre, les pieds sur la table et un film à la télé, ce qui s’était passé me semblait si loin que je ne ressentais absolument plus rien. J’étais engourdi, indifférent à Benny Wheland et à Momo et à tous ceux qui pouvaient avoir une dent contre l’un ou l’autre, et tout ce que je voulais, c’était un peu de temps pour moi histoire de me remettre les idées en place.

C’est alors que j’ai repensé à Angelina et Lucia. Je ne m’étais pas autorisé le luxe de réels souvenirs depuis leur mort. Après le choc, l’horreur, la douleur et le chagrin et les accès de larmes qui m’avaient tourmenté tant de nuits durant mes premières semaines à La Havane, je m’étais dissocié de tout ce qui s’était passé et avais tenté de repartir de zéro. Du moins mentalement et émotionnellement, enfin, je le croyais. Mais c’était faux. Je n’avais pas surmonté la rage et le désespoir provoqués par leur perte, et même si Don Calligaris m’avait plusieurs fois assuré que des gens continuaient d’essayer de comprendre ce qui s’était passé et pourquoi, de découvrir qui avait cherché à l’éliminer et avait tué ma femme et ma fille, je connaissais suffisamment bien le fonctionnement de cette famille pour savoir qu’il cherchait juste à m’apaiser. Dans cette vie qui était la nôtre, des choses se produisaient, puis on les oubliait. Dans une heure, une journée tout au plus, Benny Wheland serait oublié. La police le trouverait dans quinze jours après qu’un voisin aurait signalé l’odeur de son corps en décomposition, et il y aurait une enquête pour la forme. Un gamin fraîchement sorti de l’école de police en viendrait à la conclusion que c’était un cambriolage qui avait mal tourné, et ça n’irait pas plus loin. Benny Wheland serait enterré ou incinéré ou Dieu sait ce qui était prévu pour lui, et il n’y aurait plus rien à dire. Sa mort serait aussi insignifiante que sa vie. Comme ça avait été le cas pour mon père.

C’était la même chose pour Angelina et Lucia. Quelqu’un quelque part avait ordonné la mort de Don Calligaris, une bombe avait été placée dans sa voiture, et Don Calligaris s’en était tiré sans une égratignure. Il avait dû suffire d’un coup de fil pour que le différend soit résolu en quelques minutes, et l’affaire avait été classée. Fin de l’histoire. De toute évidence, la personne qui avait commandité le meurtre ne souhaitait plus la mort de Don Calligaris, ou alors elle aurait de nouveau tenté sa chance, autant de fois qu’il le fallait, sans se soucier des innocents qui se seraient trouvés sur son chemin. Angelina et Lucia, eh bien, elles s’étaient trouvées sur son chemin, et si j’avais été uni à la famille par les liens du sang, si j’en avais réellement été un membre à part entière, alors peut-être que quelqu’un aurait fait quelque chose. Mais j’étais cubain, et Angelina était le produit indésirable d’une union indésirable qui avait embarrassé la famille, et il n’était donc pas nécessaire que quiconque rétablisse l’équilibre en ma faveur. Mes liens avec Don Calligaris avaient suffi à placer ma famille dans la ligne de feu, et même si je ne lui en gardais pas rancune, même si je comprenais qu’il ne pouvait lui-même rien faire pour m’aider, je savais aussi que quelqu’un quelque part était responsable et devait payer.

Cette idée m’a hanté jusqu’à ce que je m’endorme, mais quand je me suis réveillé, elle avait quitté mon esprit. Je n’oubliais pas, je changeais simplement l’ordre de mes priorités. Elle était là, ne disparaîtrait jamais, et le moment viendrait de m’en occuper.

L’été 1999, et le dix-septième anniversaire de Victor en juin. C’est alors que j’ai rencontré la première fille qu’il a amenée à la maison. C’était une Italienne, une camarade de classe, et dans ses yeux d’un marron profond, j’ai deviné à la fois l’innocence de la jeunesse et l’éclosion de l’âge adulte. Son nom était Elizabetta Pertini, mais Victor l’appelait Liza car c’était ainsi qu’on la surnommait. Dans une certaine mesure, elle n’était pas si différente de la mère de Victor, et lorsqu’elle riait, chose qu’elle faisait souvent, elle avait une manière ravissante de lever la main et de se couvrir à demi la bouche. Ses cheveux noir corbeau étaient longs, souvent noués à l’arrière au moyen d’un ruban, et j’ai su au bout de quelques semaines que, bonne catholique ou non, elle avait montré à mon fils ce que Sabina, la cousine de Ruben Cienfuegos, m’avait montré à moi. Il a changé après ça, comme tous les jeunes hommes, et il est devenu plus indépendant. Parfois, il disparaissait pendant trois ou quatre jours, me téléphonant juste pour me dire qu’il allait bien, qu’il était avec des amis, qu’il rentrerait avant la fin de la semaine. Je ne protestais pas, il avait de bonnes notes, et il me semblait que Liza apportait dans sa vie une chose qui lui avait manqué. Mon fils ne se sentait plus seul. Et rien que pour ça, j’aurais été éternellement reconnaissant envers Elizabetta Pertini.

En revanche, la conversation que j’ai eue avec son père au printemps de l’année suivante ne s’est pas bien passée. Apparemment, M. Pertini, le propriétaire d’une boulangerie bien connue de Soho, avait découvert que sa fille, sous prétexte d’aller voir des amies ou de réviser ses examens, passait en fait son temps avec Victor. Ce subterfuge, orchestré sans aucun doute par mon fils, s’était poursuivi pendant près de huit mois, et même si j’ai été tenté de demander à M. Pertini comment il avait fait pour être à ce point aveugle quant aux allées et venues de sa fille, j’ai tenu ma langue. Il était furieux et inconsolable. Apparemment, à l’insu de sa fille, il comptait la marier au fils d’un ami de la famille, un jeune homme nommé Albert de Mita qui était – à l’époque de cette conversation – étudiant en architecture.

Je l’ai patiemment écouté. Assis dans le salon de ma propre maison de Baxter Street où il était venu me trouver, j’ai entendu chaque parole qu’il a prononcée. Il était aveugle, ignorant et cupide, et il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que son entreprise battait de l’aile financièrement depuis de nombreuses années, et qu’il tirerait du mariage espéré de sa fille dans la famille de Mita un bénéfice suffisant pour le sauver d’une ruine potentielle. Il se souciait plus de son statut social que du bonheur de sa fille, chose que je ne pouvais lui pardonner.

Mais une difficulté m’empêchait de m’opposer aux objections qu’il soulevait concernant le fait que mon fils fréquentait sa fille. Pertini était un homme de renom. Ce n’était pas un gangster, il n’appartenait pas à la famille de New York, et la question de la loyauté envers Don Calligaris n’avait donc aucun poids. Trente ans plus tôt, il aurait peut-être reçu une visite de Dix Cents et Michael Luciano. Ils auraient bu un verre de vin avec lui et lui auraient expliqué qu’il se mêlait à des affaires de coeur, puis une somme suffisamment conséquente pour compenser la perte de la « dot » de sa fille aurait été livrée dans un discret paquet brun à sa boulangerie. Mais maintenant, en cette fin de XXe siècle, de tels problèmes ne pouvaient plus être résolus à l’ancienne. Toute proposition d’argent que j’aurais pu lui faire aurait été prise comme une offense. Qu’importaient ses idées ou ses intentions, qu’importait le fait qu’il savait que je comprenais ses mobiles, il se serait senti insulté. Tel était son rôle, et il l’aurait joué avec conviction. Il se targuait de savoir ce qui était dans l’intérêt de sa famille. Il ne le savait en fait pas plus qu’il ne savait ce que je faisais dans la vie. Si j’avais insisté pour qu’il modifie ses plans, tenté de le persuader de reconsidérer le mariage de sa fille, alors Pertini – j’en étais certain – aurait fait tout ce qui était en son pouvoir pour ternir ma réputation et ma crédibilité. Ce chemin aurait inéluctablement mené à sa mort, et j’avais beau aimer Victor et me soucier de son bonheur, je me disais aussi que je ne pouvais pas priver Liza de son père.

La liaison a pris brutalement fin en avril 2000. Victor, qui n’avait pas encore 18 ans, était inconsolable. Pendant des jours, il n’est sorti de sa chambre que pour aller à la salle de bains ou dans la cuisine, et même alors il ne mangeait presque rien.

« Mais pourquoi ? » ne cessait-il de me demander. Et j’avais beau essayer de lui expliquer encore et encore que ce genre de chose était souvent plus une question de politique que d’amour, il refusait de comprendre. Il ne m’en voulait pas mais regrettait simplement que j’aie fourni si peu d’efforts pour prévenir ce qui s’était passé. Liza a passé ces semaines séquestrée chez elle, et la seule fois où Victor a essayé de l’appeler, sa tentative a été coupée au bout de quelques secondes par le père. Quelques instants plus tard, M. Pertini m’appelait chez moi pour me dire sans ambages que j’étais responsable de mon fils, que si je ne faisais pas en sorte qu’il ne cherche plus à contacter sa fille, il irait porter plainte contre lui pour harcèlement. Il ne faisait pour moi aucun doute qu’une telle chose devait être évitée, mais il m’était impossible de l’expliquer à Victor. Une fois de plus, il a estimé que je manquais à défendre ce qu’il considérait comme son droit inaliénable.

Ce n’était pas la seule chose qui contribuait à rendre ma position à New York intenable, mais elle a pu marquer un tournant. L’affaire qui a finalement précipité notre départ était à vrai dire beaucoup plus sérieuse, pas pour Victor, mais pour moi, et même si nous avions fait le choix de rester, des questions auraient été soulevées auxquelles il m’aurait été impossible de répondre. Les événements de ce début d’année montrent mon implacable détermination à tenter de trouver un sens à ma vie. Derrière tout ça, il y avait le fantôme de ma femme, et aussi celui de ma fille, et même si elles n’étaient jamais très loin de mes pensées, c’était dans mes actes que je devinais à quel point je deviendrais insensible et brutal si je n’apaisais pas le sentiment de culpabilité qui me taraudait depuis leur mort. Cette culpabilité ne pouvait être tempérée que par la vengeance, je le savais aussi sûrement que je savais comment je m’appelais, et c’est au cours de ces semaines que la rage impitoyable que j’éprouvais s’est précisément manifestée.

Alors que nous avions possédé de solides liens avec les Irlandais à Chicago – les membres du gang de Cicero comme Kyle Brennan, Gerry McGowan et Daniel Ryan –, il n’en allait pas de même à New York. New York, Manhattan en particulier, était devenue le terrain de jeu de tous ceux qui voulaient un morceau du territoire et des richesses qu’il avait à offrir. Des gangs de Portoricains et d’Hispaniques affrontaient les Noirs et les Mexicains dans des batailles rangées ; les Polonais et les juifs tentaient d’exploiter au maximum le Lower East Side et Bowery ; l’East Village, le sud de Soho et Little Italy nous avaient toujours appartenu, une tradition aussi vieille que la Bible elle-même, mais vers la fin des années 1990, les Irlandais, dont les meneurs étaient soutenus par les millions de gens qui avaient investi dans l’industrie du bâtiment, ont commencé à nous marcher sur les pieds et à demander leur place à la table. Don Calligaris ne pouvait pas les sentir – il n’aimait déjà pas trop leurs manières et leurs inquiétudes à Chicago –, mais ici, ils ne faisaient que lui rappeler que les temps changeaient, que les choses ne pouvaient rester immuables, qu’il ne servait plus à grand-chose, et que sa vie touchait donc peut-être à son terme.

Il y avait principalement deux factions dans la communauté irlandaise qui avaient un peu d’influence : les Brannigan et les O’Neill. Les Brannigan venaient du milieu du bâtiment, leurs ancêtres ayant construit l’essentiel de cette partie de la ville au tournant du siècle précédent, mais les O’Neill étaient nouveaux, et le fondateur de leur lignée, un homme nommé Callum O’Neill, était un immigrant du Midwest qui pensait pouvoir peser de sa présence sur la capitale du monde. Les deux familles et leur descendance bâtarde ne pouvaient pas se sentir. Ils se chicanaient pour savoir à qui appartenaient bars, maisons de paris et clubs de boxe. Ils proclamaient haut et fort leur dévotion au catholicisme irlandais ; ils bâtissaient leurs propres églises et s’y rendaient dans leurs habits du dimanche pour être aussi hypocrites que possible devant leur Dieu et la Vierge Marie. Après la messe, ils buvaient jusqu’à s’effondrer dans la rue et, alors, ils se relevaient pour se coller des raclées entre eux juste histoire de rigoler. C’étaient de vrais gamins, toujours à se chamailler dans le bac à sable pour savoir qui gagnerait ou perdrait telle moitié de telle rue, mais ils n’en étaient pas moins dangereux. Ils étaient consanguins et vicieux, ils n’avaient ni la classe ni l’intellect des Siciliens et des Génois, et ils semblaient se moquer de savoir sur quelles plates-bandes ils empiétaient pour obtenir ce qu’ils voulaient.

Un jour, Don Calligaris a envoyé Dix Cents me chercher chez moi. Victor était toujours meurtri, mais ses blessures de coeur guérissaient et il trouvait plus de temps à consacrer à ses amis et aux fils Martinelli.

« Assieds-toi », m’a dit Don Calligaris lorsque je suis entré dans la cuisine. La pièce était emplie de fumée de cigarette, comme s’il y avait passé plusieurs heures penché sur quelque difficulté. « Nous avons un problème, a-t-il doucement poursuivi, et si j’avais le moyen de m’en occuper sans faire appel à toi, alors c’est la voie que je choisirais, mais la question est d’importance et elle doit être réglée de façon expéditive et professionnelle. »

Quelqu’un devait mourir ; c’était évident à son attitude et au ton de sa voix. Quelqu’un devait mourir et il voulait que ce soit moi qui m’en charge.

Je respectais assez Don Calligaris pour le laisser parler, pour l’écouter jusqu’au bout, avant de lui expliquer pourquoi je ne pouvais pas le faire.

« Le problème irlandais vient frapper à notre porte et nous devons leur envoyer un message », a-t-il dit.

Dix Cents est entré dans la pièce, il a refermé la porte et s’est assis à côté de moi.

« Ce doit être un message très clair et concis, un message qui ne puisse pas être mal interprété ou pris pour autre chose, et il a été décidé que c’était à nous de livrer le message.

— De qui s’agit-il ? ai-je demandé.

— Nous avons une histoire avec les Brannigan, a repris Don Calligaris. Ils appartiennent au vieux New York. Ils sont ici depuis cent ans ou plus, mais ce nouveau gang, ces O’Neill, ils ont débarqué le week-end dernier et ils commencent à nous fatiguer. Les nôtres ont parlé aux Brannigan, nous avons tracé quelques lignes pour délimiter les territoires et ce qui était dû, et il a été convenu que nous nous occuperions du problème O’Neill de sorte à éviter une guerre totale entre les factions irlandaises.

— Alors, de qui s’agit-il ? ai-je répété, sachant avant qu’il ne le dise le nom qu’allait prononcer Don Calligaris.

— De James O’Neill en personne. »

J’ai poussé un lent soupir. James O’Neill était le parrain, le patriarche, le fils de Callum O’Neill et l’homme qui avait apporté pouvoir et argent à cette partie du quartier irlandais de Manhattan. C’était un homme sous bonne garde, un homme traité avec les mêmes égards que le pape, et être responsable de sa mort serait signer l’arrêt de la mienne. Tuer James O’Neill signifierait que quelqu’un devrait le payer de sa vie et, pour se protéger, la famille Lucchese serait obligée de me laisser tomber. Ce ne serait pas ce qu’ils souhaiteraient, mais ainsi allait le monde, et comme la vie de Victor serait en danger, nous devrions disparaître une fois de plus, disparaître quelque part où ils ne viendraient pas me chercher.

« Tu comprends ce que ça signifie, Ernesto ?

— Oui, je comprends, Don Calligaris.

— Et tu comprends ce que tu devras faire après ?

— Oui, je vais devoir disparaître et ne plus jamais me montrer.

— Et cette chose... serais-tu disposé à la faire pour nous ?

— Il n’y a personne d’autre ? ai-je demandé, mais ma question était purement rhétorique.

— Personne qui pourrait disparaître aussi facilement que toi, a répondu Don Calligaris en secouant la tête. D’autres hommes pourraient s’en charger, des hommes qui seraient ravis de le faire, mais ils ont des familles ici, des parents et des grands-parents, des femmes et des enfants et des soeurs. Les faire disparaître serait trop compliqué, et ce n’est pas comme si nous pouvions les placer sous la protection du FBI. »

Don Calligaris a souri, mais sa plaisanterie n’allégeait en rien mon fardeau. Ce qu’il attendait de moi était peut-être la chose la plus difficile qu’on m’ait jamais demandée. Tuer O’Neill serait très difficile. Ce serait comme tuer Don Calligaris... Non, plus difficile, car Don Calligaris n’avait que deux personnes pour le surveiller, Dix Cents et moi, et bien souvent, nous étions dans la maison de Baxter Street tandis que Don Calligaris était seul chez lui. James O’Neill avait au moins deux ou trois hommes en permanence à ses côtés, des hommes qui n’hésiteraient pas à se prendre une balle à sa place et qui me traqueraient sans relâche jusqu’à me voir mort. Si j’acceptais, je ne devrais pas faire d’erreur et, une fois le travail fait, il me faudrait disparaître immédiatement de New York et aller quelque part où on ne me trouverait pas. Je devais non seulement penser à moi, mais aussi à Victor, et risquer sa vie après tout ce qui s’était passé serait un prix trop élevé.

« Je ne pourrai jamais revenir, ai-je dit. Je devrai quitter New York et aller quelque part... dans un endroit que même vous ne connaîtrez pas, et je ne pourrai plus jamais vous parler. Si j’étais jeune, je pourrais partir dix ans, peut-être plus, et puis revenir, mais à mon âge... » J’ai secoué la tête. « Ce sera la fin de ma vie dans cette famille.

— On m’a demandé de te dire que tu auras tout ce que tu voudras. On m’a dit que tu serais payé un demi-million de dollars, que tu serais respectueusement et gracieusement mis à la retraite, et que personne ne viendrait plus jamais te demander quoi que ce soit. Tu seras traité comme un membre de la famille à part entière, peut-être le premier membre de la famille non italien de toute l’histoire des Lucchese. C’est en soi un grand honneur, mais je te connais suffisamment pour comprendre que l’argent et le statut n’ont pas d’importance à tes yeux. Je sais que la seule chose qui compte pour toi, c’est la vie de ton fils, et c’est là que tu peux tirer un avantage de tout ça. Une fois ta mission accomplie, tu pars avec Victor. Tu peux aller là où tu veux, et toute l’aide dont tu auras besoin te sera fournie. Où que tu décides d’aller, tu pourras commencer une nouvelle vie, Ernesto, une vie sans violence ni meurtres... où les gens ne nuiront pas au bonheur de Victor ; une vie où il ne risquera de découvrir ni ce que tu as fait ni les choses qui se sont produites par le passé. »

Don Calligaris me comprenait. Il savait que la seule manière de me convaincre était de présenter l’affaire comme bénéfique pour Victor. Il avait raison. La décision était claire. Il ne faisait pour moi aucun doute que, à un moment ou un autre, Victor finirait par voir des choses que je ne voulais pas qu’il voie, peut-être par entendre accidentellement des choses et recoller les pièces du puzzle, et ça, je voulais l’éviter à tout prix. Tuer O’Neill mettrait complètement fin à une telle éventualité. Il y avait un choix à faire, bien sûr. Toutes les situations dans la vie impliquaient de faire des choix. Mais cette fois, et pour la raison qui m’avait été donnée, une raison qui me semblait valable, ce choix me paraissait simple.

« Je vais le faire », ai-je tranquillement déclaré.

J’ai senti la tension dans la pièce se relâcher. Comme un ballon qui se dégonflerait. Don Calligaris avait été chargé de cette tâche, et même si Dix Cents aurait donné sa vie pour honorer la requête de Don Calligaris, même s’il aurait été capable de prendre le bus et de débarquer chez O’Neill en faisant feu de toutes parts au mépris de sa propre vie, je comprenais pourquoi Don Calligaris voulait que ce soit moi. En dépit du passé, en dépit de toutes les années que nous avions partagées, je demeurais un étranger, un immigrant cubain venu du trou du cul du monde. Je pouvais accomplir ma tâche, puis on n’en entendrait plus parler une fois que je serais parti. Voilà pourquoi ça devait être moi.

Don Calligaris a saisi ma main.

« Tu comprends ce que ça signifie pour moi ? a-t-il demandé.

— Oui, Don Calligaris. Je comprends ce que ça signifie.

— Tu vas devoir tout préparer à fond. Et une fois que cette affaire sera réglée, tu devras partir sans délai. Il serait sage d’envoyer Victor avant toi, en invoquant je ne sais quelle raison, dans un endroit où il serait heureux d’aller, et tu pourrais le rejoindre après.

— Je vais m’occuper de tous les détails, ai-je répondu. Je ne vous les dirai pas, ni à Dix Cents, pour que vous ne vous retrouviez jamais dans une situation où vous seriez obligés de donner des informations que vous ne voulez pas donner. Vous pouvez m’avoir l’argent ? »

Don Calligaris a souri.

« L’argent est déjà à ta disposition. »

J’ai incliné la tête et froncé les sourcils. « Vous étiez si sûr que j’accepterais ? »

Don Calligaris a acquiescé. Il a posé une main sur mon épaule.

« Ernesto, toi et moi sommes frères depuis près de trente ans. Je te connais mieux que n’importe qui d’autre et je sais que, une fois que tu as donné ta parole, rien ne t’en fera dévier. En qui d’autre pourrais-je avoir assez confiance pour lui confier un demi-million de dollars et ma réputation ? »

Je me suis levé. J’ai contourné la table en écartant les bras. Don Calligaris s’est levé à son tour et nous nous sommes étreints.

« Quelle vie nous avons eue ensemble », a-t-il déclaré en me lâchant.

J’ai fait un pas en arrière. L’émotion me faisait comme un poing serré dans la poitrine et j’avais du mal à parler. J’ai regardé le vieil homme qui me faisait face, un vieil homme qui avait jadis été effronté et arrogant, et qui avait cru qu’il serait un jour le maître du monde, et je me suis aperçu que, dans un sens, il avait plus été un père pour moi que n’importe qui d’autre.

« Don Calligaris... » ai-je commencé, mais je n’ai pas pu continuer.

Il a souri et hoché la tête.

« Je comprends, a-t-il dit, et il n’est pas utile de parler. Nous avons vécu cette vie, toi et moi, et où que nous soyons, nous ne serons pas de ceux qui se demandent ce qui se serait passé s’ils avaient recherché l’aventure. Nous l’avons cherchée, nous l’avons vécue, et maintenant que nous sommes vieux, nous devons prendre soin de nous, hein ? Il y a des gens qui sont morts à cause de nous... mais il y en a d’autres qui ne seraient pas en vie si nous ne les avions pas protégés. Cosa nostra, hein ? Cette chose qui nous appartient. Notre chose... »

J’ai tendu la main et serré fermement son bras, puis j’ai fermé les yeux.

Don Calligaris a refermé sa main au-dessus de la mienne.

« Pour le restant de vos vies, a-t-il murmuré, je vous bénis toi et ton fils. »

Il m’a lâché, et je me suis alors tourné vers Dix Cents. Il ne disait rien, mais je voyais dans ses yeux qu’il se rappellerait ce jour comme un moment important et lourd de sens.

Je me suis attardé quelques minutes supplémentaires. Don Calligaris m’a dit de lui faire savoir quand j’aurais besoin de l’argent et informé qu’il serait livré à la maison de Baxter Street.

Je suis resté un moment sur le perron, l’odeur du printemps flottant dans l’air, une brise fraîche glissant dans Mulberry Street, une rue où il y avait si longtemps de cela j’avais marché main dans la main avec Angelina Maria Tiacoli, puis je me suis retourné et j’ai levé les yeux vers le ciel.

— Pour ton fils, Angelina, ai-je murmuré, et pour ton frère, Lucia... pour vous, je vais faire cette chose afin qu’il puisse commencer sa propre vie libéré du passé. »

Puis j’ai relevé mon col et repris le chemin de la maison.

Ce soir-là, j’ai pris ma décision. Retourner à Cuba aurait été de la folie. Chicago était également hors de question, car qu’y avait-il là-bas si ce n’était le souvenir d’une vie que j’avais choisi de quitter ? Los Angeles, Las Vegas, même Miami – toutes ces villes avaient leurs fantômes. Et c’est en repensant à une chose que Don Giancarlo Ceriano m’avait dite un jour, bien des années auparavant, que ça m’est venu.

La chose qu’un homme craint le plus sera celle qui le tuera au bout du compte.

Et j’ai pris ma décision.

Ma vie s’achèverait là où elle avait commencé : à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane.

J’ai abordé le sujet d’un voyage avec Victor, qui a semblé immédiatement enthousiaste.

« La Nouvelle-Orléans ? a-t-il dit. Mais pourquoi ?

— Nous sommes en Amérique, ai-je répondu avec un sourire. Tu as dit que tu voulais voir les choses que j’avais vues. J’ai passé quelques années à La Nouvelle-Orléans quand j’étais petit garçon et j’y ai vu le mardi gras. C’est comme voir le pape s’adresser à la foule sur la place Saint-Pierre, comme être à Times Square au changement d’année... il y a des choses qu’il faut voir pour les croire.

— Et quand partirions-nous ? a-t-il demandé d’un ton excité.

— Incessamment sous peu... deux ou trois jours peut-être. J’ai prévu que tu partirais sans moi... »

Victor a froncé les sourcils. « Tu ne viens pas ?

— Bien sûr que si, ai-je répondu en riant. Ce sera des vacances en famille. Mais j’ai une chose à faire qui me prendra quelques jours, et après je te rejoindrai. Nous nous retrouverons là-bas et nous y resterons environ une semaine, puis nous reviendrons. En plus, il y a tant de choses à faire et à voir, tant d’endroits où aller, que je ne pense pas que je trouverai l’énergie de te suivre. »

Victor acquiesçait d’un air enthousiaste. « Alors, cette idée te fait plaisir ?

— Plaisir ? Je pense que c’est une idée fantastique. Faut que j’aille raconter ça aux Martinelli.

— Non. Laisse-moi tout organiser, ai-je répliqué. Tant que tout n’est pas prêt, je te demande de n’en parler à personne, pas même à tes amis les Martinelli.

— Mais... »

J’ai levé la main pour l’interrompre.

« Tu te souviens de tous les soucis que tu m’as causés à La Havane quand tu voulais venir ici ? »

Victor a souri d’un air un peu embarrassé.

« Eh bien, nous avons exaucé tes désirs. Nous sommes venus ici. Je l’ai fait pour toi alors que je ne voulais pas venir, et maintenant je te demande une chose, le ne veux pas que tu dises à qui que ce soit où nous allons, OK ? »

Victor a semblé confus.

« Est-ce qu’on a des ennuis ?

— Non. Nous n’avons pas d’ennuis, mais j’ai mes raisons de vouloir que ça reste entre toi et moi, et je veux que tu me donnes ta parole que tu garderas ça secret. »

Il a ouvert la bouche pour objecter mais je l’ai une fois de plus interrompu : « Ta parole, Victor ?

— Je ne comprends pas, mais si c’est ce que tu veux...

— C’est ce que je veux, Victor.

— Alors, tu as ma parole.

— Bien, ai-je dit. Maintenant, va préparer quelques affaires pour ton voyage. »

Et c’est donc ce que nous avons fait. J’ai mis Victor dans le train pour La Nouvelle-Orléans. Il a emporté avec lui des vêtements et de l’argent, mille cinq cents dollars en espèces. Je lui avais réservé une chambre dans un hôtel du centre-ville. Il y serait à temps pour le début du mardi gras. Je priais un Dieu auquel je ne croyais pas d’y être aussi.

J’ai regardé le train disparaître depuis le quai, puis je suis retourné à ma voiture. J’ai regagné la maison de Baxter Street pour récupérer mes affaires, dont une valise qui contenait un demi-million de dollars en billets de cent. J’ai déposé le tout dans le coffre de ma voiture, puis j’ai traversé Soho jusqu’au West Village, où j’ai loué sous un faux nom une chambre dans un hôtel bon marché et réglé la note cash.

Je suis resté dans la chambre froide et humide pendant un peu plus de deux heures, attendant qu’il fasse nuit, puis je suis retourné dans le quartier de Bowery.

À 21 h 17 ce soir-là, devant une petite trattoria italienne à la mode de Chrystie Street, les témoins oculaires affirmeraient avoir vu un homme d’une cinquantaine d’années aux cheveux grisonnants et portant un long manteau sortir de l’allée derrière le bâtiment et ouvrir le feu avec deux pistolets. Dans une implacable pluie de balles trois hommes s’étaient effondrés – James O’Neill, un deuxième nommé Liam Flaherty et un troisième nommé Lonnie Duggan. Flaherty et Duggan étaient des boxeurs célèbres du circuit du Lower East Side. O’Neill était un poids lourd multimillionnaire du bâtiment qui se rendait au théâtre.

L’homme, celui aux cheveux grisonnants et au long manteau, au lieu de s’enfuir en courant, s’était habilement faufilé parmi la circulation avant de disparaître dans une allée de l’autre côté de la rue. Personne ne pouvait en donner une description précise, certains prétendaient qu’il avait le type italien, d’autres disaient qu’il avait plutôt l’air grec ou chypriote. Les pistolets n’ont jamais été retrouvés malgré trois jours d’un ratissage minutieux de la zone par plus de trente policiers épaulés par une équipe de la police scientifique du 7e commissariat de Manhattan. L’homme aussi avait disparu, tel un fantôme, tel un vague souvenir de lui-même, et les personnes qui pleuraient la perte d’O’Neill, Flaherty et Duggan ne pesaient pas lourd dans le vacarme qu’était Manhattan.

Si vous m’aviez suivi ce soir-là, vous m’auriez vu héler un taxi trois rues plus loin. Ce taxi m’a ramené à l’hôtel, où j’ai récupéré mes affaires avant de repartir immédiatement pour prendre un taxi qui a franchi le pont de Williamsburg jusqu’à Brooklyn. De là, j’ai pris un train pour Trenton, New Jersey, où je suis resté deux jours de plus avant de partir pour La Nouvelle-Orléans.

En partant, j’ai essayé de ne pas penser à l’endroit où je me rendais ni à ce qu’il signifiait pour moi. Je m’en allais, j’avais fait ce que j’avais promis de faire et en avais réchappé. Victor était à l’abri. Personne sauf moi ne savait où il était, et ça me suffisait. Je savais que j’entrais dans le dernier chapitre de ma vie, mais je le faisais sans peur, sans ce sentiment de violence imminente qui m’avait si souvent accompagné, et avec la certitude que mon fils me survivrait et ne saurait rien du passé de son père.

Pour moi, c’était le plus important. C’était ce qu’aurait voulu sa mère.

Vendetta
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